EGMOS, ce ne sont pas seulement de beaux téléviseurs dans les chambres, des vélos pour ne pas perdre trop de muscles, de l’argent pour financer des programmes de recherche ciblés, ce sont avant tout des personnes qui ne ménagent pas leur peine pour lever des fonds et pour rendre visite aux malades.Durant les trois mois de mon hospitalisation à Trèfle 3, au cœur de l’été 2012, un de ces visiteurs est venu une à deux fois par semaine sans interruption. Il m’a fait du bien.
J’ai parlé avec lui de tout et de rien, de sujets futiles et profonds, avec une grande liberté comme on parle à un inconnu qui devient vite familier. J’ai eu la chance de ne pas souffrir de l’isolement et de la solitude : mes proches m’ont rendu visite tous les jours et m’ont entouré de leur amour. Mais il n’était pas facile de leur infliger le spectacle de la maladie et tant de choses avec eux étaient tues car elles n’avaient pas besoin d’être dites. Il en allait autrement avec le visiteur d’EGMOS qui savait évoquer la maladie sans se substituer aux médecins, qui se faisait parfois accompagné d’anciens malades dont la seule présence suffisait à envisager pour soi un lendemain heureux, qui avait l’art de lancer une conservation dans laquelle je me laissais entraîner. Ce visiteur, ce n’était pas seulement quelqu’un qui écoutait et qui réconfortait, c’était quelqu’un qui, sans me forcer la main, m’obligeait à faire un effort, à prendre sur moi, même si parfois je l’invitais à ne pas rentrer car je n’en avais ni la force, ni l’envie. Auprès du personnel soignant, je m’abandonnais ; auprès des miens, j’avais parfois un peu honte à me montrer dans un tel dénuement physique ; auprès du visiteur, je me sentais libre de parler parce qu’au fond il était là pour moi et m’invitait à donner le change. Cet effort était salutaire car il m’a permis de sortir de l’état de de dépendance dans lequel j’étais enfermé. Entrer dans une chambre stérile, ce n’est pas seulement ne pas savoir si et quand on va en sortir, c’est se dépouiller de tout, ajouter à la fatigue, et parfois à la douleur du corps, la faiblesse psychologique ; c’est être reclus, mais exposé à tous les vents sans capacité de résistance et de mise à distance. C’est se complaire dans une bulle protectrice et finir par être incapable d’en sortir de peur de tout ce qui est au-dehors. Le corps y est sans défense, l’esprit aussi. C’est pourquoi il était bon de ne pas toujours être à l’écoute de soi, mais d’être là aussi pour un autre. Ce n’est pas son empathie qui m’a fait du bien, mais le fait d’engager le plus naturellement du monde une conversation qui faisait tomber les murs. Longtemps ce visiteur n’a eu que des yeux et une voix, mais pas de visage que recouvraient le masque et la coiffe. Du personnel médical je garde la même image au point de ne pas reconnaître dans les personnes dont je voyais ensuite le visage pour la première fois celles qui m’avaient soigné et réconforté. Tous ceux qui ont pénétré dans ma chambre, par leurs gestes, leurs mots, leurs attentions, leur regard, m’ont apporté l’espérance et m’ont finalement sauvé. Le visiteur d’EGMOS se tient parmi eux, à sa place, ni plus, ni moins indispensable.
Jean-François Chauvard