Synthèse de la journée patients « Récupération physique et cognitive après une greffe ou une thérapie cellulaire »

 17 novembre 2023

Le dernier rendez-vous d’information trimestriel « Patients aidants et donneurs » organisé par la SFGM-TC était consacré à la récupération post-greffe. Il a bénéficié des interventions du Dr Paul Chauvet, hématologue au CHU de Lille, du Dr Virgile Pinelli, spécialiste en médecine physique et de réadaptation à Toulouse, et de deux patients greffés, Thierry et Didier.

La fatigue post-greffe : un symptôme à évaluer et traiter de manière systématique

La fatigue post-greffe est systématique mais a plusieurs causes possibles. La première est l’anémie, qui désigne la diminution du taux d’hémoglobine dans le sang : souvent transitoire, elle peut se prolonger en cas d’infection ou à cause de certains traitements. La fatigue peut aussi résulter d’un déconditionnement à l’effort, c’est-à-dire une perte de capacités physiques consécutive à l’immobilisation. Elle peut également être le symptôme d’infections post-greffe comme le cytomégalovirus (CMV) et le virus d’Epstein-Barr (EBV), qui se développent souvent de façon silencieuse : des traitements peuvent être administrés rapidement, mais qui causent souvent une anémie, donc de la fatigue. La fatigue caractérise aussi certaines complications post-greffe comme la réaction du greffon contre l’hôte (GVH), les troubles digestifs, les problèmes respiratoires, de rein ou de cœur. Elle peut également être induite par des carences en vitamines engendrées par la difficulté de s’alimenter après la greffe en raison d’une mucite, d’une perte du goût ou des interdits alimentaires. On traite ces carences par la prise d’ampoules de vitamine D. La fatigue relève parfois de causes endocriniennes comme l’hypothyroïdie[1] ou la thyroïdite[2]. Cette dernière est traitée par Lévothyrox, et doit être surveillée tout au long de la vie. La glande surrénale peut aussi se mettre au repos et cesser de produire du cortisol[3], notamment en cas de prise de cortisone pour traiter la GVH. Dans ce cas, on arrête progressivement la cortisone pour la supplémenter par l’hydrocortisone. La fatigue peut également être le signe avant-coureur d’une surcharge en fer, l’hémochromatose secondaire, suite aux transfusions. On la traite par des saignées ou par la prescription d’Exjade, qui capte et élimine le fer. Enfin, la fatigue peut être le symptôme d’un état dépressif caractérisé par des troubles du sommeil, une perte de l’élan, une difficulté à se projeter dans l’avenir. Des traitements existent, qui pour la plupart induisent eux-mêmes une somnolence.

L’activité physique post-greffe : un processus essentiel pour une amélioration globale

Après une greffe, tous les patients subissent des effets indésirables interconnectés. La réhabilitation physique post-greffe permet de les accompagner dans la reprise d’activités source de bien-être. Celle-ci commence par une évaluation précise des freins et leviers, afin d’élaborer un programme adapté à chaque patient. Ce programme mixe de l’aérobie, c’est-à-dire des exercices d’endurance (marche, vélo, rameur) 5 fois par semaine, et du renforcement musculaire 2 fois par semaine. Il est appuyé par un support nutritionnel normocalorique et hyperprotidique, en adaptant les goûts et les textures pour pallier la dysgueusie, et en tenant compte du calendrier de réintroduction des aliments. On évalue aussi la psyché du patient grâce à un entretien motivationnel ou au score de Prochaska : si une barrière psychique bloque la mise en route d’une activité physique, on peut proposer une psychothérapie de soutien ou une approche par EMDR[4], voire la prise d’un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine[5] pour l’aider à passer ce cap. Le programme de réhabilitation peut être mis en œuvre de façon autonome avec un livret d’exercices, ou sous la supervision d’un kiné ou d’un enseignant en activité physique adaptée (APA) en cas de déficiences plus profondes, de moral dégradé ou de manque d’entraînement à l’activité physique. Les centres de rééducation sont plutôt réservés aux patients ayant besoin d’une pratique intensive, avec 4 à 5 séances de plus de 2 heures chaque semaine. La réhabilitation post-greffe peut s’inscrire dans le long terme. Il peut s’agir d’une activité physique assez simple, ancrée dans le quotidien, en privilégiant par exemple les escaliers ou les déplacements à pied. L’essentiel est de respecter la fréquence de 5 séances d’aérobie + 2 de renforcement musculaire par semaine. On peut se baser sur ces principes pour mettre en place une activité physique quotidienne adaptée en per-greffe (vélos, poids, tapis), au cours de l’hospitalisation, après évaluation médicale. En pré-greffe, on développe la préhabilitation : cette préparation physique multimodale mêlant activité physique, nutrition et travail psychique, permet au patient de renforcer ses capacités fonctionnelles avant la greffe, afin de retrouver plus rapidement, après la greffe, son niveau physique antérieur.

Des bienfaits confirmés, à compléter

Les échanges avec la salle ont confirmé l’importance de ce processus de réhabilitation. À cette fin, la Société française des professionnels en APA cartographie les APA sur tout le territoire. Les patients peuvent également se tourner vers les ERC (Espaces Ressources Cancers), dont certains proposent des activités telles que de la marche adaptée, de la marche nordique ou du fitness, encadrées par un coach sportif, un kiné ou un médecin physique. Pour pallier la fermeture par les ARS de certains ERC, des mairies portent des projets de ce type, qui ne sont pas forcément référencés de façon officielle. La Ligue contre le Cancer propose pour sa part des ateliers de sport adapté, sous la houlette d’un enseignant en APA. Thierry, greffé deux fois, a insisté sur l’importance de chaque petit pas pour remonter la pente, en se donnant des motivations. Dans son cas, il s’agissait de pouvoir reprendre le football. Didier, greffé en 2022 et par ailleurs médecin psychiatre et psychanalyste, a témoigné de la régression physique et psychique qu’il a traversée, qui s’est traduite par une perturbation des capacités de penser, de concentration, d’abstraction, de symbolisation, par un état de faiblesse important et par une dépendance extrême aux autres. Pour y faire face, il a pris appui sur une expérience personnelle passée qui lui a permis de connecter son vécu douloureux à une expérience positive : une randonnée qui avait été source de plaisir, mais avait aussi été marquée par l’effort et par la progressivité. Ces représentations lui ont servi de refuge. Chacun peut trouver dans son vécu des éléments sur lesquels prendre appui. Cela peut également passer par la décoration de sa chambre d’hôpital avec des objets familiers, pour en faire un cocon. Certaines structures comme l’Institut Paoli-Calmettes, à Marseille, réalisent une évaluation des capacités de résilience du patient afin d’identifier les leviers personnels qu’il pourra mobiliser pour se reconstruire. Dans tous les cas, l’activité physique permet d’apaiser la souffrance.

[1] Cette dysfonction de la glande thyroïde affecte fréquemment les patients ayant reçu une radiothérapie, voire une chimiothérapie, pour le conditionnement avant greffe.

[2] Cette inflammation de la glande thyroïde se dépiste par dosage de la TSH dans le sang ou par échographie lors de la consultation d’endocrinologie post-greffe.

[3] Le cortisol est une cortisone naturelle produite par la glande surrénale. Cette hormone impliquée dans la régulation du taux de sucre dans le sang, est indispensable pour se réveiller le matin.

[4] L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une psychothérapie par mouvement oculaires qui permet de dépasser des vécus traumatiques responsables de symptômes invalidants.

[5] Cet antidépresseur est recommandé comme traitement de première intention dans la prise en charge d’épisodes dépressifs modérés à sévères.

La synthèse de cette conférence a été élaborée par un rédacteur professionnel.

Cette prestation a été entièrement financée par EGMOS.

EGMOS remercie la SFGM-TC d’avoir mis à sa disposition les enregistrements de la conférence.